« La poésie est le premier millimètre d’air au-dessus de la terre. »
Maria Tsvetaïeva
Ainsi, nous basons notre approche sur le concept de « poétique de la rêverie » développé par Gaston Bachelard.
Selon Bachelard, la poésie est un espace à la frontière de la raison et de la rêverie. Les deux étant reliés par la question du mouvement, donc d’une certaine manière, par la question du vivant.
C’est seulement dans un espace en mouvement où le vivant s’articule avec le rationnel et le sensible que ces deux espaces antinomiques se rencontrent et se fondent.
Une autre notion alimentant notre réflexion est celle d’habiter définie comme « relation entre acteur et environnement qui souligne les forces et les fragilités de chacun des termes. »
Selon J. Levy et M. Lussault, « l’habiter est un horizon pensable, un devenir possible, un projet éthiquement et rationnellement cohérent – si et seulement si la société et ses composantes s’accordent pour le mettre en œuvre. »
Cette notion ouvre à la pensée d’Heidegger pour qui habiter passe par le bâtir. Reprenant le vers d’Hölderlin – « … l’homme habite en poète… » – Heidegger précise que « le vrai habiter a lieu là où sont les poètes » et que « la poésie est le faire habiter originel. » […] « La poésie est la puissance fondamentale de l’habitation humaine ».
« J’appelle partage du sensible ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. Un partage du sensible fixe donc en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, des temps et des formes d’activité qui détermine la manière même dont un commun se prête à participation et dont les uns et les autres ont part à ce partage. Le citoyen, dit Aristote, est celui qui a part au fait de gouverner et d’être gouverné. Mais une autre forme de partage a déjà précédé cet avoir part. Les artisans, a dit Platon, n’ont pas le temps de se consacrer à autre chose que leur travail. Ils ne peuvent pas être ailleurs parce que le travail n’attend pas. Le partage du sensible fait voir qui peut avoir part au commun en fonction de ce qu’il fait et du lieu où il est. Avoir telle occupation en tel type de lieu définit des compétences ou des incompétences au commun.
Cela définit le fait d’être ou non visible dans un espace commun, doué d’une parole commune, etc. Il y a donc, à la base de la politique une « esthétique », à entendre en un sens kantien, éventuellement revisité par Foucault : un découpage des temps et des espaces, du visible et de l’invisible, de la parole et du bruit qui définit à la fois le lieu et l’enjeu de la politique comme forme d’expérience. La politique porte sur ce qu’on voit et ce qu’on peut en dire, sur qui a la compétence pour voir et la qualité pour dire, sur les propriétés des espaces et les possibles du temps.
C’est à partir de cette esthétique première que l’on peut poser la question des « pratiques esthétiques », au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire des formes de visibilité des pratiques de l’art, du lieu qu’elles occupent, de ce qu’elles « font » au regard du commun. Avant de se fonder sur le contenu immoral des fables, la proscription platonicienne des poètes se fonde sur l’impossibilité de faire deux choses en même temps.
La question de la fiction est d’abord une question de distribution des lieux. »
Jacques Rancière
Dans Le partage du sensible (2000)