Créées pour un spectacle performatif autour de l’univers poétique d’Henri Michaux avec Jules Desgoutte, ces vidéos ont été tournées pendant des vacances en Bretagne sur l’île aux Moines dans le golfe du Morbihan.

Le spectacle en question a par ailleurs été joué une seule fois dans sa version filmique, dans une grande salle noire, froide et sombre au sein d’une friche artistique lyonnaise, elle-même déserte, par un dimanche après-midi de grand soleil devant quatre personnes.

La maison qui nous accueillait avait un petit quelque chose de lynchéen qui n’était pas sans dépareiller avec les ambiances souvent cafardeuses mais jamais dénuées de drôlerie d’Henri Michaux. Il y avait beaucoup de bêtes bizarres sur les murs dans cette demeure biscornue.

Filmées pendant des vacances donc. Ce sont en quelque sorte, mes vidéos de vacances de l’été 2015. De fait, elles émergent d’un faux état d’oisiveté estivale, proposées comme un acte gratuit et un tantinet décalé de créer une suite d’images qui parle à partir du réel d’ambiances autour du littoral, frontières floues entre des mondes : ceux du rêve, du « réel » et du cauchemar.

Un peu des trois à la fois, chez Michaux. Ajoutez à cela de l’espoir et une grande mélancolie, et surtout cette difficulté à être « complètement soi », et ainsi à définir ce qui nous sépare de nous-même du reste du monde. Il subsiste un désir, certainement une nécessité, d’être une foultitude d’autres choses que soi-même, peut-être tout en même temps, chez Michaux.

État délirant, peut-être, recherché surtout, à la frontière d’un entre-monde : un espace entre la chose et le rien, toujours mouvant, toujours entre l’effroi et le rire, « Entre centre et absence » pour reprendre le titre du recueil d’où sont tirés ces textes.

La réalisation de ces vidéos pourrait apparaître comme une occupation hasardeuse, voire désuète, s’il n’y avait pas derrière cet esprit d’humour belge qui sauve de la noyade l’absolue nécessité de ne pas parler directement de celle qui nous effraie tant et qui pourtant est là, partout et à tout instant.

Je crois que ces textes serviront à s’interroger sur ce grand fardeau lentement construit dans nos sociétés occidentales : celui de nous faire croire que nous sommes immortels, et surtout, que nous y aurions droits.

D’une certaine manière, je souhaite que ces vidéos œuvrent pour que ceux qui les parcourent ressentent à leur tour le poids salvateur et inquiétant du « Grand Secret », cher à Henri Michaux.

D’une certaine manière, je nous souhaite d’être agréablement submergés.

Création : Emmanuel « Gulliver » Soccodato