3 novembre 2019

Balade dans les bois avec Loris. 14h30. Nous revêtons les capes bleue-nuit de Decathlon. Il pleut averse et le ruisseau qui ourle le sentier que nous longeons a des allures de Saint Laurent, on serait à peine surpris d’apercevoir une baleine. Nous marchons à l’abri sous le caoutchouc et n’étaient nos mollets qui guident les trainées d’eau jusque dans nos souliers, nous serions au sec. Bientôt Loris patauge dans les siens et finalement opte pour une randonnée où le jeu consistera non pas à éviter les flaques mais à traverser en aventurier ces imitations locales mixtes de l’oued africain et du torrent alpin. Nous discutons et Loris me parle de ses films préférés ou, en tout état de cause de ceux qui hantent ses rêveries nocturnes et marquent ses discussions de façons récurrentes : les films de zombies… The walking dead, World war Z, Je suis une légende avec Will Smith, et d’autres dont je ne connais pas même le titre. Il m’en livre son interprétation en commençant par me dire que ces films sont une excellente « métaphore » pour nous les hommes. Voici ce que je retiens de cette longue digression, herméneutique passionnante, sortie de la tête et de la bouche d’un enfant de 12 ans. « Tout commence par la volonté des hommes de tout contrôler, me dit-il, les hommes veulent tout contrôler et tout diriger comme ces hommes qui en Amazonie tronçonnent les arbres pour planter des arbres pour fabriquer de l’huile de palme. Tu vois ce sentier (j’y patauge et y glisse plus que je ne le vois mais j’acquiesce…), tu vois, ce sont des hommes qui l’ont tracé et demain ils voudront le goudronner pour aller plus loin, plus vite. Tu prends une carte routière, et bien ça montre comment l’homme veut tout transformer pour lui, ses besoins, ses désirs… Eh ! bien voilà. – Voilà quoi ? je lui demande.

– Et bien voilà ! Le zombie, dans tous les films ou presque tous, c’est l’homme qui en est l’origine. C’est l’homme qui fabrique un virus ou un truc dans le but de faire la guerre souvent et qui se trouve avec une créature suprahumaine, un surhomme en fait, ni vivant, ni mort et qui échappe à son contrôle. C’est un peu comme les machines… j’ai lu qu’en Californie, un type a été arrêté par les policiers. Il s’était endormi au volant de sa voiture autonome, tu te rends compte, il s’est endormi tellement il avait confiance dans son zombie… Je pense que le film Cars, c’est un mec qui s’est transformé en machine.

A partir de ce moment nous conversons tous deux :

– Intéressant car les zombies en fait, comme les machines, les ordinateurs ou les intelligences artificielles n’ont pas de projet, n’ont pas de désir, jamais on ne voit des zombies ni s’embrasser, ni faire l’amour…

– …oui, ils ne sont là que pour survivre et ont besoin d’énergie, de matière première et c’est l’homme qui devient leur bétail, leur ressource pour simplement continuer leur non-vie… Et puis, c’est aussi un retournement de situation pour la nature… Tu vois, l’homme est un produit de la nature, je ne crois pas en dieu, en Bouddha ni en tout ça ; ces feuilles (il me montre les feuilles mortes détrempées sur le sentier boueux) étaient là avant nous, et l’homme vient des feuilles, de la décomposition des feuilles. Et le zombie c’est la machine créée par l’homme qui se retourne contre lui comme si la tronçonneuse en Amazonie se retournait contre le bucheron. La nature a créé l’homme qui la détruit et celui-ci crée à son tour un être, une machine, un truc qui va le détruire et dans les films, les survivants sont tellement peu nombreux qu’on n’en parle presque pas.

– Le zombie selon ton interprétation c’est donc à la fois une création de l’homme, comme l’est une machine et à la fois, le fait pour l’homme de devenir petit à petit une machine dépourvue de projet et de désir.

– C’est ça ! le zombie, tu comprends, c’est une création d’une machine surhumaine qui ne s’essouffle jamais, qui ne meurt pas, mais qui échappe au contrôle de l’homme qui prétendait tout contrôler et qui finalement va le supplanter, va le bouffer pour simplement se continuer… et pour cela, il le mord, il lui transmet son virus et le transforme à son tour en machine qui veut juste continuer à exister comme une sorte de non-être… »

La balade se poursuit et la discussion, elle, bifurque vers d’autres sujets. Nous arrivons près des étangs au cœur de la forêt. En dépit de la pluie qui inonde la région depuis des jours ils sont toujours et étrangement à sec. Loris s’inquiète du niveau de la nappe phréatique et me fait part d’une information à propos de lieux où l’on puise dans des eaux primaires pour faire pousser trois tomates en perforant le sol sur des kilomètres… L’anthropocène aura été décidément la thématique de notre virée pluvieuse. Pour le moment et nous concernant, il s’agit de regagner nos pénates avant que les orteils de Loris ne se transforment en champignons… nous dévalons une sente qui passe devant la grotte dite des loups, et je vois cavaler les jambes rosies par le froid de notre gamin… Je le poursuis en me répétant tel un mantra que le pire n’est jamais sûr !

Vincent Massart – professeur de français à l’INSPE de Lyon